En sus des projets quadriennaux, les membres de la MAFIL poursuivent d’autres recherches sur l’archéologie, l’art et l’histoire du Ladakh, principalement sur l’art rupestre et les stèles et bas-reliefs bouddhiques mais aussi les monuments bouddhiques anciens (temples et stūpa en ruines), le matériel céramique et l’industrie lithique.
L’art rupestre
Documentation
L’existence de pétroglyphes au Ladakh est connue depuis les années 1880. Leur importance pour l’histoire ancienne est reconnue depuis lors, mais les représentations rupestres de figures anthropomorphes, zoomorphes, ou symboliques ainsi que les inscriptions ne furent documentées et publiées que par intermittence jusque dans les années 1990.
En 1996, Martin Vernier entreprit la documentation systématique des pétroglyphes du Ladakh. Il a depuis enregistré près de 10 000 gravures au Ladakh central ainsi que dans la vallée de la Markha et au Zanskar. Un résumé de sa première décennie de recherches fut publié en 2007 sous forme de catalogue. On y trouve, pour la première fois, une liste des sites d’art rupestre (106 au total) de la région et une classification thématique des pétroglyphes.
En 2007, Martin Vernier s’associa avec Laurianne Bruneau. Depuis, ils ont exploré de nouvelles zones comme les régions de la Nubra et de Dah-Hanu. À ce jour, le nombre de pétroglyphes documentés avoisine 20 000, répartis sur 158 sites (91 documentés systématiquement et 67 prospectés seulement). L’une des contributions les plus remarquables de est l’achèvement, en 2011, de la documentation systématique du site de Murgi Tokpo dans la Nubra, qui est le plus grand site d’art rupestre connu à ce jour au Ladakh avec plus de 3000 pétroglyphes (lire l’article sur Murgi Tokpo).
Lors de la documentation systématique des sites chaque pétroglyphe est photographié, mesuré et enregistré individuellement. Une copie sur feuille plastique transparente des images et inscriptions les plus remarquables est également réalisée. Un enregistrement détaillé et une cartographie de chaque site d’art rupestre ont été réalisés. Ces données ont été consignées dans une base de données et il est prévu qu’elle soit disponible en ligne pour que d’autres chercheurs puissent en bénéficier.
Pour une historiographie complète de l’étude de l’art rupestre au Ladakh
Etudes et publications
M. Vernier et L. Bruneau ont déjà publié, soit ensemble ou indépendamment, plusieurs études spécifiques traitant de l’histoire et des aspects stylistiques et thématiques des pétroglyphes : liste des publications.
L. Bruneau a mené une analyse complète des pétroglyphes du Ladakh pour sa thèse (soutenue en 2010, en cours de publication), en incluant une étude des sites et une étude typologique des images.
En raison de leur quantité et de leur qualité, les pétroglyphes sont le matériau archéologique le plus important du Ladakh : ils permettent d’en reconstituer le passé. C’est pour cela que M. Vernier et L. Bruneau souhaitent continuer de les documenter dans les zones encore inexplorées comme le Purig et le Rupshu/Karnag.
Sensibilisation et préservation
L’art rupestre est l’un des éléments les plus distinctifs du patrimoine ladakhi. Il est aussi l’un des plus précieux, car il permet de reconstituer l’histoire ancienne de la région qui demeure encore très largement inconnue. Malheureusement, depuis les années 1980, cet héritage subit une dégradation de plus en plus rapide et la disparition des sites rupestres du Ladakh requiert des actions de préservation immédiates. De nombreux sites ont partiellement ou totalement disparu au cours des dernières années.
Le développement économique de la région et celui, corollaire, de constructions incontrôlées (tracé de nombreuses routes et urbanisme en très forte expansion) ont entraînés la disparition de nombreux sites et roches gravées. Celles-ci sont débitées et transformées en matériaux de construction. Les exemples sont nombreux : à Hundar, dans la Nubra, un relief bouddhique a été détruit il y a une trentaine d’années pour permettre la construction d’une amenée d’eau vers une petite station hydraulique. Aujourd’hui, un relief similaire situé sur la rive opposée est menacé du même sort. À Basgo, au Ladakh central, un site de pétroglyphes est désormais submergé par les eaux du barrage d’Alchi construit quelques kilomètres en aval.
Une autre menace non négligeable provient du passage récent d’une architecture traditionnelle en briques de terre crue à une architecture utilisant la pierre taillée et le ciment. Le site rupestre de Zamthang, le site rupestre le plus important du Zanskar, illustre bien cette problématique. En effet, certaines roches gravées plurimillénaires ont servi de matériaux de construction à un bâtiment, aujourd’hui déjà abandonné : lire l’article à ce sujet.
Un autre exemple dramatique est le site d’Alchi, village bien connu pour son complexe de temples. Le plateau désertique qui précède le village, sur la rive gauche de l’Indus, comportait le site rupestre historique le plus important du Ladakh. Il a été l’un des premiers sites relevés par les explorateurs au début du 20e siècle, mais ses pierres sont, année après année, concassées pour servir à la construction d’infrastructures hôtelières.
Enfin, le vandalisme (graffiti, grattage, martelage, peinture) dû aux villageois, à la main d’œuvre saisonnière étrangère et aux touristes constitue une autre menace.
L’art rupestre est un patrimoine commun et universel dont la protection devrait être assurée tant par les habitants des lieux que par les autorités compétentes. Outre l’application d’une législation, le manque d’information sur cet héritage unique et sa valeur historique constitue l’un des principaux obstacles pour sa préservation. C’est pourquoi nous nous engageons sur plusieurs fronts pour tenter de sauver ce qui peut encore l’être. Au-delà de la publication d’articles spécialisés, notre équipe a réalisé des panneaux d’information. Elle a aussi réalisé, en coopération avec l’INTACH Leh Chapter, une série de dépliants éducatifs (en anglais, hindi et ladakhi) destinés aux personnes potentiellement impliquées (travailleurs de la route, villageois habitant à proximité d’un site, écoles, monastères). Toujours en collaboration avec l’INTACH Leh Chapter, nous avons organisé en 2012 et 2014 à Leh, des ateliers de sensibilisation à la préservation du patrimoine rupestre. Des actions similaires, en partenariat avec des acteurs et organisations locales, sont à venir.
Stèles et bas-reliefs bouddhiques
Le Ladakh se distingue des autres régions himalayennes par sa longue tradition d’art rupestre. Au sein de celle-ci, on trouve des stèles et des bas reliefs bouddhiques dont l’existence fut mentionnée par les premiers voyageurs occidentaux à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle. Bien que la statuaire lapidaire constitue sans aucun doute l’une des principales sources pour la compréhension du bouddhisme au Ladakh, tant au niveau historique que religieux, cet héritage a fait l’objet de peu de recherches. Une trentaine de stèles et bas reliefs ont été publiés pour l’ensemble du Ladakh. À ce jour, le travail le plus abouti sur ce sujet est la thèse de Phuntsog Dorjay soutenue en 2006 à l’Université de Jammu (Development of Buddhist Art in Ladakh from 800 to 1200 A.D.). Plus récemment, l’inventaire de sites culturels du Ladakh effectué par le NIRLAC (Namgyal Institute for Research on Ladakhi Art and Culture, Leh) recense quelques reliefs et stèles jusqu’alors inconnus du public (Legacy of a Mountain People, Inventory of Cultural Resources of Ladakh, NIRLAC, 2008, 4 volumes).
M. Vernier a entrepris un inventaire des bas-reliefs et stèles bouddhiques du Ladakh en 2003 qui se poursuit encore sur le terrain.
Au printemps 2016, 210 stèles et bas-reliefs ont été documentés pour l’ensemble du Ladakh et seules quelques vallées latérales demeurent inexplorées.
La documentation pour chacun des bas-reliefs et stèles comprend : une fiche descriptive (dimensions, sujets, état de conservation, etc…) et une couverture photographique, parfois complétée de dessins et de plans. Pour certaines œuvres, leur nom local ainsi que leur mention dans les légendes ou autres traditions locales ont été documentés.
Cet inventaire, qui se veut le plus exhaustif possible, a pour but de :
- favoriser la protection de cet héritage. En effet, si certain(e)s stèles et bas-reliefs font encore l’objet de dévotion, la plupart sont en danger de déprédation ou de démolition.
- rendre accessible à l’ensemble de la communauté scientifique les données afin d’en permettre une étude pluridisciplinaire.
La publication de cet inventaire sous forme de catalogue est en préparation par M. Vernier. Celui–ci comprendra les données recensées pour chaque œuvre, à savoir sa localisation, ses dimensions et son iconographie (identification de la figure, attributs et posture, ornementation, vêtements). Le cas échéant, l’historiographie des stèles et bas-reliefs (publication, photographie ou dessin connut) sera inclue dans le catalogue. Ce dernier comprendra également une étude préliminaire des stèles et bas-reliefs autant d’un point de vue spatial, fonctionnel, stylistique et chronologique.
Il est aussi espéré que ce catalogue puisse servir d’outil pour les différentes organisations locales, laïques et religieuses, engagés dans la protection et la conservation du patrimoine ladakhi.
Autres vestiges
Selon les sources textuelles, l’édifice bouddhique le plus ancien du Ladakh est le temple de Nyarma fondé de son vivant par Rinchen Zangpo (958-1055). Étant dans un état de ruines avancé, il a fait l’objet de peu d’études : seuls les monuments bouddhiques comportant des vestiges iconographiques et iconométriques retiennent, sauf exception, l’attention des historiens de l’art et des architectes. Cependant, un bon nombre de temples et de stūpa (ou chortens) en ruines aux quatre coins du Ladakh constituent des vestiges inestimables pour l’histoire ancienne du Bouddhisme et de son établissement dans le pays.
À ce jour, près de 40 temples en ruines pour l’ensemble du Ladakh ont été documentés par M. Vernier. Bien que leur décor ait disparu, l’étude de leur plan, de leur emplacement, de leur environnement archéologique ou encore des matériaux et des méthodes de construction employés, apporte des données inédites sur l’architecture bouddhique ancienne. Tous ces aspects sont souvent négligés dans l’étude des temples décorés, tels ceux d’Alchi, Mangyu ou de Wanla.
Un travail similaire pour les stūpa en ruines a également été entrepris. Ces investigations sur le terrain, ont dors et déjà permis à l’équipe de découvrir plusieurs chortens peints méconnus ou inconnus. L’étude de la morphologie des anciens chortens, de leurs techniques de construction et de leur environnement archéologique a abouti à une première publication, portant sur dix stūpa peints.
La MAFIL souhaite rendre l’ensemble de sa documentation (mesures, photographies mais aussi les plans et les dessins réalisés par Martin Vernier, voir la galerie) accessible à d’autres chercheurs afin que des études iconographiques et stylistiques plus poussées puissent êtres réalisées.
Les ruines de chortens permettent également de mener une étude comparative avec les pétroglyphes puisque plusieurs centaines de chortens gravés ont été documentés au Ladakh. L. Bruneau étudie les représentations de chortens dans une perspective morphologique et en a établi une typologie. Elle conduit actuellement une étude comparative avec les représentations gravées des régions avoisinantes (Gilgit-Baltistan et Rutog) et avec les vestiges de chortens construits du Ladakh.